Né en Angleterre en 1964, Gary Knight commence sa carrière de photojournaliste en Asie dans les années 1980. Quand il revient en Europe dans les années 1990, il photographie la guerre du Kosovo en mettant l’accent sur les crimes de guerre perpétrés par les Serbes sur les Bosniaques musulmans. Il photographie les conflits dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique, puis s’intéresse à la question de la militarisation des frontières dans le désert entre les Etats-Unis et le Mexique.
Dénonçant à travers ses photos la violation des droits humains et les problèmes liés à la pauvreté, il est publié par The New York Times, Paris Match, Stern et National Geographic. Il a été photographe attitré pour Newsweek dans les années 1990 et 2000. Ses photos sont exposées dans le monde entier, et font partie des collections de nombreux musées et collectionneurs. En 2001, avec ses collègues reporters John Stanmeyer, Alexandra Boulat, Ron Haviv, Antonin Kratochvil, Christopher Morris et James Nachtwey, il crée l’agence de photographie VII Agency.
Dans cette exposition inédite conçue par Gary Knight, il nous fait découvrir les rouages du photojournalisme. Le photographe nous livre son expérience des grands conflits qui ont secoué la fin du XXème siècle et le début du XXIième . Ses clichés sont accompagnés de documents personnels rares : poésies, romans, essais, presse magazine et quotidienne, mettant en évidence l’importance de l’écrit dans son parcours.
Caves
« In 1988, I flew to Bangkok on a cheap KLM flight and sat right at the back of the plane with all the smokers. I had a rucksack in the hold and my precious Billingham camera bag on my knees. It contained one camera, three lenses, and a tripod I would never use. The flight was the third I had taken in my life. When it landed, I went to the Youth Hostel on Phitsanulok Road and began a career as a photographer from a bunk bed in a dormitory. »
« En 1988, je suis parti pour Bangkok avec un vol KLM bon marché et j’étais assis à l’arrière avec tous les fumeurs. J’avais un sac à dos et ma précieuse sacoche Billingham sur les genoux. Elle contenait un appareil photo, trois objectifs, et un trépied que je n’utiliserais jamais. C’était la troisième fois de ma vie que je prenais un avion. Une fois atterris, je m’installais à l’auberge de jeunesse sur la route Phitsanulok et je commençais une carrière de photographe depuis le lit superposé d’un dortoir. »
Entrée
« As I write elsewhere in this exhibition, my journey into war started by reading poems and books written in World War I by men long dead. »
« Comme je l’écris ailleurs dans cette exposition, mon voyage vers la guerre a commencé par la lecture de poèmes et de livres écrits pendant la Première Guerre mondiale par des hommes morts depuis longtemps »
« In each poetic dispatch, I learned what war felt like from those who were there. I also learned that we were joined, them, and I, despite the decades and experiences that separated us. Their antebellum lives were not so different from mine. Those poets and writers were raised in villages like my own before coming of age in the Marne or the Somme. »
« Dans chaque dépêche poétique, j’ai appris de ceux qui y étaient ce qu’était la guerre. J’ai aussi appris que nous étions unis, eux et moi, malgré les décennies et les expériences qui nous séparaient. Leurs vies d’avant la guerre n’étaient pas si différentes de la mienne. Ces poètes et écrivains ont été élevés dans des villages comme le mien avant d’arriver à maturité dans la Marne ou la Somme. »
« Like many of my generation who grew up in the Reagan – Thatcher years listening to The Clash and the Sex Pistols, I became very politicized. I recognized that photojournalism was a tool for protest and advocacy as well as a means of escape. »
« Comme beaucoup de gens de ma génération qui ont grandi pendant les années Reagan – Thatcher en écoutant The Clash et les Sex Pistols, je suis devenu très politisé. J’ai compris que le photojournalisme était un outil de protestation et de défense ainsi qu’un moyen d’évasion. »
Salle 2
The Bridge. Invasion of Iraq. 2003.
Le Pont. Invasion en Irak. 2003.
« Most wars I cover are photographed from the perspective of those on the receiving end of the violence, which is where my interest lies. This time I want to experience it from the perspective of the perpetrators, not only because it is unusual for me but because of the opportunities for access – which in a war is quite rare. That’s it. But will I officially embedded in a unit or work solo (‘unilaterally’ as we come to say.) »
« La plupart des guerres que je couvre sont photographiées du point de vue de ceux qui subissent la violence C’est ce qui m’intéresse le plus. Cette fois, je veux en faire l’expérience dans la perspective des auteurs, pas seulement parce que c’est inhabituel pour moi, mais aussi à cause des opportunités d’accès que cela présente : ce qui, dans une guerre, est plutôt rare. C’est tout. Mais vais-je officiellement m’embarquer dans une unité militaire ou travailler en solo (“unilatéralement” comme nous disons) ? »
« Newsweek is guaranteed a certain number of embedded slots for photographers and because I am a contract photographer I can reasonably expect to have one of them. The benefits of being embedded officially will be privileged access: I will have a front row seat to some version of the war. The question is what war will I see, because not all units are equal. I cannot choose the unit I want and even I could, that doesn’t guarantee I will see much action once it all kicks off. »
« Newsweek est garanti d’obtenir un certain nombre de places embarquées pour les photographes et parce que je suis un photographe contractuel je peux raisonnablement espérer en avoir une. Être officiellement embarqué permet le bénéfice d’un accès privilégié: je serai au premier rang d’une perspective de la guerre. La question est quelle guerre vais-je voir, parce que toutes les unités ne sont pas égales. Je ne peux pas choisir l’unité que je veux et même si je le pouvais, cela ne garantira pas que je vois beaucoup d’actions une fois que ça commence. »
« Any journalist or photographer who goes into combat with soldiers goes at the sufferance of the military, period. From Roger Fenton in Crimea, through Robert Capa on D-Day, to Philip Jones Griffiths and Don McCullin in Viet Nam. You are never truly independent in war, even if you think you are. Being embedded changes nothing material unless you favor either side, and that bias is unlikely to be diminished whether you are embedded or not. Our education, our experience, our culture and our prejudice are more problematic than our proximity to the military. »
« N’importe quel journaliste ou photographe qui va au combat avec des soldats part avec les attentes de l’armée, point. De Roger Fenton en Crimée, en passant par Robert Capa sur le débarquement, jusqu’à Philip Jones Griffiths et Don McCullin au Vietnam. Tu ne seras jamais vraiment indépendant dans une guerre, même si tu penses que tu l’es. Être embarqué dans l’armée ne change rien de matériel à moins que tu n’encourage un camp, et ce biais a peu de chance de diminuer que tu sois embarqué ou pas. Notre éducation, notre expérience, notre culture et nos préjugés sont plus problématiques que notre proximité avec l’armée. »
« The issue is not whether you are compromised, it’s whether you recognize that you always are. »
« La question n’est pas de savoir si tu es compromis, c’est plutôt de reconnaître que tu l’as toujours été. »
Dulce et Decorum Est, Pro Patria Mori
Il est doux et beau de mourir pour la patrie
« I used to lie in my bed when I was a boy and read the poems of Wilfred Owen and those of Sassoon, Brook, and Graves. It is from there that my journey into war began. »
« Enfant, j’avais l’habitude de lire les poèmes de Wilfred Owen, de Sassoon, de Brook, et de Graves* couché dans mon lit. C’est là-bas que mon voyage dans la guerre a commencé. »
« I was fascinated by war, raised on the comic books and other exaggerated histories of conquest and warfare that I found in my grandparent’s attic, books that my father had read as a boy during World War Two. The poems of the First World War were where my ideas about war were challenged for the first time and where I first sensed that war was neither romantic, noble, or a rite of passage. Every stanza bled with layer upon layer of horror, indignity, and inhumanity. The pages revealed a world where passage ends. I wanted to see it for myself, and I wanted to be like them. »
« J’étais fasciné par la guerre, j’avais grandi avec les bandes dessinées et autres histoires caricaturales de conquêtes et de combats que je trouvais dans le grenier de mes grands-parents. C’était les mêmes histoires que mon père lisait quand il était enfant, pendant la seconde guerre mondiale. Ce sont les poèmes des soldats de la première guerre mondiale qui ont remis en question pour la première fois ma vision de la guerre. C’est à ce moment-là que j’ai senti que la guerre n’était ni romantique, ni noble, ni un rite de passage. Chaque strophe saignait sous des couches d’horreurs, d’indignités et d’inhumanités. Les pages révélaient un monde de fin de de parcours. Je voulais le voir par moi-même, et je voulais être comme eux. »
Salle 3
Inmigración Topográfica
The Topography of Immigration
Topographie de l’immigration
« This is a story about migration, the desperate movement of thousands of men, women, and children from Central and South America into the United States through one of the most hostile environments in the world, the Sonoran Desert in Arizona, in the southwestern corner of the United States of America. »
« Il s’agit d’une histoire sur la migration, le mouvement désespéré de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants d’Amérique centrale et du sud vers les Etats-Unis, passant par l’un des lieux les plus hostiles au monde, le désert de Sonora en Arizona, dans le sud-ouest des Etats-Unis d’Amérique. »
« The industrialization and militarization of the border and the integration of technology advanced during the wars in Afghanistan and Iraq have changed the US-Mexican border region dramatically during the last decade. It is now one of the most militarized areas in the world. As the border security apparatus rises out of the Sonoran Desert, it resembles more North & South Korea or Israel & Palestine than a country at peace with its neighbors. »
« Ces dix dernières années, l’industrialisation et la militarisation des frontières, ainsi que l’apparition des hautes technologies dans les guerres d’Afghanistan et d’Irak, ont dramatiquement changé la région frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique. C’est maintenant l’une des régions les plus militarisées au monde. Alors que l’appareil sécuritaire frontalier s’élève dans le désert de Sonora, cela ressemble beaucoup plus à la Corée du Nord et du Sud, ou à Israël et Palestine, qu’à un pays en paix avec ses voisins. »
« The construction of the border fence guarded by private security firms and US Customs & Border Patrol has cost more than 1 billion dollars, and new technologies used to track the suspected terrorists and insurgents in Afghanistan and Iraq are being deployed to catch the poor, adding to the bill a further 755 million dollars. »
« La construction de la barrière frontalière, surveillée par des compagnies de sécurité privées et les autorités douanières américaines, a coûté plus d’un milliard de dollars. Les nouvelles technologies utilisées pour pister les suspects de terrorisme et les insurgés en Afghanistan et en Irak sont maintenant déployées pour attraper les pauvres, grossissant la facture de plus de 755 millions de dollars. »
« Migrants are forced to embark on increasingly desperate attempts to evade the drones or heat-seeking technology. Forced to skirt the steel fence and watchtowers that stretch for hundreds of miles, migrants cross the harshest mountainous desert terrain. They die horrible deaths on remote trails and deer paths, paths that overlook the new desert settlements with names like Desert Bell populated by second-generation European migrants. »
« Les migrants sont obligés de se lancer dans des tentatives de plus en plus désespérées pour fuir les drones ou les appareils de détection thermique. Forcés de contourner les palissades en acier et les tours de garde qui s’étendent sur des centaines de kilomètres, ils doivent traverser les parties les plus hostiles du désert montagneux. Ils meurent de morts horribles sur des chemins isolés et des passages d’animaux, passages qui surplombent les nouvelles colonies du désert, portant des noms comme “la belle du désert” et peuplées de migrants européens de la deuxième génération. »
Landscape. ‘Outside Lies Magic’.
Paysages. “Dehors repose la magie”
« Most of my photography has been a close look at human behavior but although I paid little attention to it as a young photographer, the landscape has always been where my deepest interest lies. I was raised in a small village in England, in a region where an accent from a community 10 kilometers away would mark you as a stranger. The country roads, canals, and fields that surrounded the village were my playground. It was where I felt most at home, and 40 years later, I still know every tree and hedgerow and every dip in the road when I return to visit my family. Whenever I photographed war, I always felt most at home in the plains, deserts, and jungles. I disliked wars in cities. They never felt safe. »
« Si la plupart de mes photographies sont pensées comme un regard approfondi sur le comportement humain, et bien que je n’y accordais que peu d’attention en tant que jeune photographe, le paysage a toujours été mon plus grand intérêt. J’ai grandi dans un petit village en Angleterre, dans une région où porter l’accent d’une communauté vivant dix kilomètres plus loin fait de toi un étranger. Les routes de campagne, les rivières et les champs qui entouraient le village étaient mon terrain de jeu. C’est là où je me sentais vraiment chez moi, et quarante ans plus tard, je connais chaque arbre, chaque haie et chaque creux de la route qui m’emmène retrouver ma famille. Quand je photographiais la guerre, je me sentais chez moi dans les plaines, les déserts et les jungles. Je détestais les guerres dans les villes. Je ne m’y sentais pas en sécurité. »
« I photographed landscapes wherever I traveled, but I was collecting them for myself. As far as my work was concerned, landscapes were just canvases for the theatre of human activity. Until I went to Harvard on a Nieman Fellowship in 2009. »
« J’ai photographié des paysages partout où je voyageais, mais je les collectionnais pour moi-même. Quand il s’agissait de mon travail, les paysages n’étaient que le décor du théâtre des actions humaines. Jusqu’à ce que j’aille à Harvard en 2009, grâce au programme de bourse Nieman. »
« There, I studied with John Stilgoe, America’s preeminent landscape historian. He encouraged me to examine the landscape, and I started to see it as a character all by itself. The landscape has a voice. Every trail, fence, or human distortion is there for a reason, and much lies hidden in plain sight. The first time I picked up a camera after Harvard, I went to Arizona to photograph a very human story, migration, through the prism of the landscape. »
« Là-bas, j’ai étudié avec John Stilgoe, le grand historien américain spécialiste du paysage. Il m’a encouragé à analyser le paysage, et j’ai commencé à le considérer comme un personnage à part entière. Le paysage a une voix. Chaque chemin, clôture, ou déformation humaine y est pour une raison, et beaucoup de choses sont “cachées à la vue de tous”. La première fois que j’ai attrapé un appareil photo après Harvard, je suis allé en Arizona photographier une histoire vraiment humaine, la migration, à travers le prisme du paysage. »
Etage
Evidence. War crimes in Kosovo. 1999
Preuves. Crimes de guerre au Kosovo. 1999
« After living in Asia for five years at the end of the cold war, I went home to England for a six-week vacation. On my way home to Bangkok, I traveled to Bosnia, and while there, I met my wife, an English journalist. I did not return to Asia for nearly a decade. Like many young journalists, I fell in love with Bosnia, not just in it. The people were so warm, so ironic and self-deprecating, and the cause was so powerful I found it impossible to leave. »
« Après cinq ans passés en Asie à la fin de la guerre froide, je rentrais en Angleterre pour six semaines de vacances. En revenant de Bangkok je passais par la Bosnie, où j’ai rencontré ma femme, une journaliste anglaise. Pendant presque dix ans, je ne revis pas l’Asie. Comme beaucoup de jeunes journalistes, je ne suis pas seulement tombé en Bosnie, j’en suis tombé amoureux. Les gens y étaient si chaleureux, plein d’ironie et d’auto-dérision, et la cause était si puissante qu’il m’était impossible de partir. »
« The work I produced there was not very strong. I was running from one spectacular event to another, following the story, rather than immersing myself in it. In 1999 by the time the war moved from Bosnia to Kosovo for the endgame of Yugoslavia, I felt I hadn’t yet told the story I wanted to tell. That story was about war crimes. The deportation, persecution, and murder of innocent civilians because of their religion or ethnicity. While crimes were committed on all sides, the overwhelming majority were committed by Serbs against Muslims from Bosnia and Kosovo. »
« Le travail que j’ai fait là-bas n’était pas très puissant. Je courais d’un événement spectaculaire à un autre, suivant les histoires plutôt que de m’y immerger. En 1999, au moment où la guerre passait de la Bosnie au Kosovo et que sonnait la fin de la Yougoslavie, je sentais que je n’avais pas encore raconté l’histoire que je voulais raconter. C’était une histoire sur les crimes de guerre. La déportation, la persécution et le meurtre d’innocents civils à cause de leur religion ou de leur ethnicité. Bien que des crimes étaient commis de tous les côtés, la grande majorité l’était par des serbes contre les musulmans de Bosnie et du Kosovo. »
« I spent much of the nineties years working for Newsweek Magazine. When the fighting in Kosovo started, Newsweek sent me to photograph the USAF who were flying sorties over the region, but I had little interest in that. I proposed to them that I looked at the war solely through the perspective of war crimes and crimes against humanity. They agreed. I packed 200 rolls of film, two Leica M6’s and went to Albania. »
« J’ai passé la plupart des années 1990 à travailler pour Newsweek Magazine. Quand les combats au Kosovo commencèrent, Newsweek m’envoya photographier les avions de l’US Air Force qui traversaient la région, mais ça ne m’intéressait pas beaucoup. Je leur proposais alors de travailler sur la guerre uniquement sous l’angle des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Ils acceptèrent. J’emballais 200 pellicules, deux Leica M6 et je partis pour l’Albanie. »
« While I was there, photographing women and children fleeing ethnic cleansing, the International Criminal Tribunal for Yugoslavia published the Indictment of Serbian President Slobodan Milosevic. It was written in three parts—Deportation, Persecution, and Murder. When I saw the document, I knew that I had the structure for my work, which became the book, “Evidence: The Case Against Milosevic, et al.” I started to photograph the diaspora of Kosovar’s into Albania and Macedonia and then went into Kosovo with Nato to photograph evidence of persecution and murder. The purpose of the essay was to photograph like an investigator, someone searching for evidence of crimes, rather than look at it from a photographer’s perspective. I wanted to illustrate the crimes in the Indictment and provide evidence. »
« Alors que j’étais là-bas, photographiant les femmes et les enfants fuyant les épurations ethniques, le Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie a émis l’acte d’accusation du président serbe Slobodan Milosevic. L’accusation était justifiée par trois motifs: Déportation, Persécution, et Meurtre. Quand je vis le document, je compris que j’avais trouvé la structure de mon travail, devenu plus tard un livre: “Preuves: le procès contre Milosevic, et al.” Je commençais à photographier la diaspora des kosovars vers l’Albanie et la Macédoine, puis partis pour le Kosovo avec l’OTAN pour photographier les preuves de persécutions et de meurtres. L’objectif de ce travail était de photographier comme un enquêteur, comme quelqu’un cherchant des preuves de crimes, plutôt que d’utiliser une perspective de photographe. Je voulais illustrer les crimes précisés dans l’acte d’accusation et fournir des preuves. »